11 septembre 2017
Jour 4
Par une amie revenant du Brésil, ma mère m'envoie du café, du riz, du savon. Des denrées qu'on trouve à foison ici. Pourtant le café que je bois en écrivant ces lignes alors qu'il pleut par la fenêtre n'a pas la même puissance. Le riz n'a pas la même croustillance. Le savon dégage un autre parfum. Et la senteur qui émanera de la terre après la pluie n'est pas non plus la même que là-bas.
Saveur, parfum, texture. Ces éléments si fugitifs, immatériels sont suffisants pour me transporter instantanément au Brésil, plus rapidement qu'un Boeing.
Blottie dans le hamac, une tasse de café et une part de gâteau de ma grand-mère (qui n'est pas ma grand-mère qui est ma grand-mère) à portée de main. Je lis. A côté, dans la bibliothèque, ma mère écoute Debussy; dans l'aquarium, les poissons s'abandonnent à la musique. Je lis. Plus loin, mes frères courent avec les chiens. Je lis. Mon père fume sa pipe en pensant à un nouvel étage pour la maison; il est vivant. Je lis. J'ai 15 ans. Nous sommes au Brésil depuis un an. Je découvre que le soleil peut-être une certitude.
Forte de ces présences, je peux me précipiter corps et âme dans toutes les aventures littéraires qui me tombent sous la main. Je peux lire pendant des jours à la suite, ne m'interrompant que pour manger. La nuit, je peux traverser des merveilles et des terreurs. Je me souviens de naufrager dans les récits de la Shoah et d'émerger, les yeux écrabouillés d'horreur, au petit déjeuner fait de fruits et d'oiseaux.
C'est l'époque où j'ai commencé à lire systématiquement, dévastant par ordre alphabétique les rayons bien fournis de la bibliothèque du Lycée Pasteur. Et la poésie. C'est aussi l'époque où je passais des heures à peindre (très mal) les paysages du Sitio. La même tentative que pour l'écriture : restituer l'émotion que fait naître la beauté. Comment exprimer les émotions qui m'épinglaient devant un paysage, une fleur, un ciel, un garçon?
Quand j'invoque un personnage, je le perçois dans un environnement de couleurs, sons, parfums. Je vois le paysage autour de lui. Je me demande qui sont ses frères, ses sœurs, quelle solidité a la présence de son père, quelle musique porte le rire de sa mère, quel regard ont les chiens, quel vent dans les arbres. Ces éléments intangibles composent sa consistance. Le léger comme composant consubstantiel à la réalité du récit. Le petit comme élément fondateur du tout.
Ce n'est pas tant que je compose les personnages en accolant à Chandra l'odeur du pain frais, à Claris un geste impatient de la tête, à Maya une musique des mots, à Deli les délicieuses effluves de la cuisine, à Jwel le sifflement de la flèche. C'est plutôt que je les appelle, je les invite, et quand ils sont là, je les observe en retenant mon souffle, pour comprendre qui ils sont.
Ce n'est pas vrai que tous les nouveaux-nés se ressemblent, si ce n'est qu'ils ont tous en commun ce lien immaculé qui les rattachent encore à tous les mystères et à toutes les réponses. On ne compose pas un enfant, on ne le façonne pas. On le désire, on l'accueille, on l'observe. On fait au mieux pour l'accompagner afin qu'il se révèle à lui-même et au monde, le plus librement possible.
De la même façon, les personnages se révèlent. Puis, une fois qu'ils sont là, ils racontent l'histoire. Cela semble magique. C'est du travail. Du travail magique.
A demain.
P.A.
Lys 12/09/2017 12:16
Valériane 12/09/2017 02:15
Isa Salinier 11/09/2017 20:56
Tatsu 11/09/2017 15:34